Journal | Fragile/s, de Nicolas Martin
Fragile/s, roman de Nicolas Martin, éditions Au Diable Vauvert, 2024
Dans un futur proche, ouvert inclusif et bienveillant (je blague) gouverné par l’extrême droite et les intelligences artificielles, nous découvrons par les enregistrements de Typhaine l’itinéraire qu’elle, son mari Gauthier, leur fille Fragile Madeleine et quelques proches vont être amenés à parcourir à partir du moment où Typhaine intègre, de façon à la fois inespérée et un peu forcée (et grâce à la position de Gauthier dans un ministère), le Programme expérimental de génoembryologie destiné à sortir la France du marasme démographique et économique consécutif au développement au sein de la population du syndrome de l’X fragile, avant de l’ériger en Nation Supérieure (oui, on doit appeler ça de l’eugénisme pour faire plus court).
Par quelques termes choisis liés à notre actualité récente (réarmement démographique, CRISPR-Cas9...), et pour lequel il a mis au service ses autres casquettes de journaliste et de vulgarisateur scientifique, Nicolas Martin (oui, celui de la Méthode Scientifique, et aussi de la Xénographie d’Alien, et de bien d’autres choses encore) réussit à nous emmener très rapidement dans ce futur peut-être un peu trop proche. Son écriture incisive, rythmée, dessine — au scalpel — un monde malheureusement tout à fait plausible et au-delà d’une histoire instaure une ambiance, une expérience immersive.
A mi-parcours le lectorat éclairé se demandera peut-être à quel point Nicolas Martin a pu être influencé par Otomo mais qu’on se rassure, c’est un tout autre chemin qui est ici emprunté, même si la thématique de l’hubris reste commune, m’apparaissant même centrale dans Fragile/s, alors que l’humanité continue sur la voie de la démesure et de l’illusion de pouvoir absolu pour éviter d’avoir à réaliser qu’elle est impuissante. Vilain coup pour ce néo-patriarcat encore renforcé !
Une situation qui oppose très rapidement le Pouvoir au Fragile. L’X fragile tout d’abord, syndrome génétique [1] qui touche une grande majorité des enfants, devenant alors de fait des « Fragiles », catégorie de personnes touchées par une débilité au sens premier du terme du manque de force et de vigueur, au sens de la vulnérabilité. Et c’est bien cette vulnérabilité qui est au centre de la réflexion à laquelle nous sommes invités. La vulnérabilité qui entraîne l’attention à l’autre et à soi (humilité, soin, entraide et coopération), valeurs que Typhaine, Gauthier, Elisa, Aïssatou et tant d’autres ont portées avant que la répression ou l’opportunité d’une situation dans un ministère (pour faire changer les choses de l’intérieur) ne les fasse dévier.
Un roman qui méritera largement toutes les récompenses qu’on lui souhaite de recevoir, et la reconnaissance du public pour ce nouveau jalon de la SF.
L’occasion par ailleurs et au passage d’aborder des questionnements sociaux et politiques d’une brulante actualité qui pourraient (restons soft) nous pendre au nez par le truchement de ce que l’on appelle, oui, un roman dystopique.
Allez, mouche-toi et dis bonjour à la dame.